Elisabeth Bagaaya, Princesse de Toro

HABWA OBUKAMA, HABWA ABABIITO, HABWA BANTU BOONA (Pour la monarchie, la noblesse et le bien être du peuple)

La princesse Elisabeth Bagaaya est la fille du Roi Omukama G. D. Rukiidi III de l’Ouganda. Elle voit le jour en 1940 à Kabalole, capitale de Toro, région située à l’ouest de l’Ouganda, et qui autrefois faisait partie de l’Empire Bunyoro-Kitara (regroupant l’actuel Burundi, Rwanda, Tanzanie, Congo (RDC ) et Ouganda), indépendante à partir du 18ème siècle. C’est en 1967 que Toro perdra son statut de royaume, lorsque le gouvernement de Milton A. Obote (premier chef du gouvernement ougandais après l’indépendance de 1962 à 1971) décidera d’abolir la monarchie.

Lady Kezia Byanjeru, mère de Bagaaya, était la Première Epouse Royale et légale du Roi Omukama, ce qui confère à Bagaaya le titre de Batebe, c’est à dire de « Première Princesse Royale ».

Toutefois, ce titre ne lui empêche pas de partager le même style de vie que ses  demif-frères et demi-soeurs, nés des autres épouses de son père. Les princes et princesses ont une éducation à l’anglaise, mais à côté de cela, leur père tient à ce qu’ils aient une éducation traditionnelle et qu’ils aient une connaissance pointue de l’histoire de la l’empire de Bunyoro-Kitara.

Bagaaya fréquente la Kyebambe Girl’s School, l’école de la mission protestante de son royaume qui porte le nom de son grand-père (ce dernier s’était converti au christianisme) et y jouit de certains privilèges dus à son rang.

Mais une fois au collège, ces privilèges vont disparaitre complètement. Et pour cause, la Gayaza High School fait parti du Royaume de Buganda, et non au Royaume de Toro. Bagaaya est obligée de participer aux activités de l’école comme tous les élèves, sans aucune distinction.

Quelques années plus tard, Bagaaya est envoyée en Angleterre pour y poursuivre ses études. Elle est alors inscrite à Sherborne, une institution scolaire pour filles où, non seulement la jeune femme se voit soudainement confrontée à une autre culture, mais doit faire face à sa différence raciale, au milieu d’autres jeunes femmes issues de l’aristocratie occidentale. La vie sociale et scolaire n’a rien de facile, tout est si différent pour Bagaaya.

Entre 1959 et 1962, après avoir quitté Sherborne, Bagayaa étudie le droit, l’histoire et les sciences politiques à l’Université de Cambridge, en Angleterre, l’une des plus réputées du pays.
Son entrée à Cambridge lui permettra de tisser des liens avec personnalités très influentes qui, plus tard, joueront des rôles clés dans sa carrière. C’est d’ailleurs à Cambridge que Bagaaya rencontrera Jomo Kenyatta, qui deviendra président du Kenya entre 1963 et 1978.
Les études de droit de la Princesse de Toro la conduisent ensuite à Londres où elle décroche son diplôme de Droit en 1965, devenant ainsi la première femme avocate de l’Afrique du sud, centrale et australe.

Cependant, cette même année, Bagayaa doit faire face à un terrible malheur: la mort de son père! Outre la douleur de perdre celui qui était son confident et son ami, elle voit se peindre à l’horizon un future politique plus qu’incertain, vu le désir ardent du président Obote de bannir la monarchie d’Ouganda.

Bagaaya retourne en Ouganda cette année là pour assister aux funérailles de son regretté père et assister par la même occasion au couronnement de son frère, le Roi Omukama Patrick D. Kaboyo Olimi VII, (en 1966)

Durant cette cérémonie retransmise par la presse internationale, caméras et appareils photos sont constamment tournés vers  la Princesse Bagaaya. La surprise est à son comble, et pour ceux qui la connaissent mais ne l’avaient plus revue depuis des années, et pour ceux qui ne la connaissent pas et qui, tout à coup, prenaient conscience de l’existence de la très belle princesse du Royaume de Toro.
En 1967, la carrière d’avocate de Bagaaya la dirige à Kampala, capitale de l’Ouganda, où elle travaille au barreau.
Mais juste au moment où elle s’apprête à débuter sa carrière, le paysage politique de l’Ouganda change de façon soudaine et spectaculaire! Le président Obote décide d’abolir la Constitution de 1962 qui préservait les monarchies d’Ankole, Bunyoro, Buganda et Toro et de le remplacer par une nouvelle constitution républicaine. Bagaaya se voit contrainte de quitter l’Ouganda et de retourner à Londres.

Si Elisabeth Bagaaya ne parviendra malheureusement pas à percer dans l’univers juridique londonien, c’est un évènement inattendu qui donnera un tournant décisif à sa carrière. En 1967, la  Princesse Margaret et son mari, Lord Snowdon, proposent à Bagaaya de défiler à un la British Fashion Show qu’ils organisent. Ces derniers avaient rencontré Bagaaya lors d’une visite officielle en Ouganda en 1962. Bagaaya, fervente adepte de la mode, ne refuse pas une seconde. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que ce défilé va lui ouvrir les portes du monde la Haute Couture, et bien plus encore. En effet, après ce défilé, elle est présentée aux plus grands couturiers qui lui proposent des contrats intéressants. Et dans cette nouvelle carrière qui commence, Bagaaya n’hésite pas à partager sa culture africaine auprès de ces grands couturiers. L’univers de la haute-couture lui ouvre également les portes du Théâtre et du Cinéma. Elle travaille pour Vogue, Harper’s Bazaar et pose pour Queen Magazine. Elle rencontre notamment Jacqueline Kennedy, grâce à qui les portes de la Haute Couture Américaine vont s’ouvrir à elle. Ainsi, c’est dans le pays de l’Oncle Sam que Bagaaya travaille pour Ebony et devient la première femme de couleur à apparaître dans un magazine de haute-couture (celui de Harper’s Bazaar).

Bagaaya brille de par cette nouvelle position, à tel point que les Nations Unies lui confère une importance notoire, séduites par sa rhétorique. L’ironie du sort est qu’Amin en devient lui-même jaloux. Voilà que son porte-parole lui fait ombrage et a plus de popularité que lui! Le président se décide même à demander la main de la Princesse pour être associé directement à elle, mais elle refuse. Amin se sentant très rabaissé par ce refus, évoque une histoire d’amour que Bagaaya aurait eu avec un « blanc » lors d’un voyage diplomatique à Londres pour la rayer de ses fonctions.

Amin Dada avait minutieusement préparé un guet-apens à l’encontre de Bagaaya, qui dès son arrivée en territoire ougandaise devait être emprisonnée. Avertie du danger, la Princesse décide de ne plus revenir et de demander l’asile politique à la Grande Bretagne. 

En 1986, sous le gouvernement de Museveni, elle devient ambassadrice de l’Ouganda auprès des Etats-Unis. Episode non moins tumultueux que celui de son rôle de Porte-Parole d’Amin Dada! La Princesse de Toro se rappelle par ailleurs que la tâche la plus lourde à accomplir pour elle à cette période était de donner une explication rationnelle sur les liens unissant Museveni à Khaddafi, ce dernier étant perçu comme un Marxiste aux yeux des Américains.

Lorsque le calme revient en Ouganda, Bagaaya songe de plus en plus à retourner sur sa terre natale. C’est alors qu’un élément politique et historique vient l’encourager: Idi Amin Dada renverse le gouvernement d’Obote par un coup d’Etat en 1971. Bagaaya va alors rejoindre le gouvernement d’Amin Dada et devenir Ambassadrice Itinérante, jouant le rôle de messager d’Idi Amin, parcourant un état à l’autre et un pays à un autre. Tous les contacts qu’elle avait pu se faire dans la passé grâce à son passage à Cambridge et sa carrière dans la mode se révèlent être très utiles et bénéfiques. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que parmi  les relations de la Princesse sont comptées les personnes les plus influentes de la planète, chacune d’elles, une clé qu’elle utilisera à des moments opportuns.

Toutefois, Bagaaya se rend bien compte que le gouvernement d’Amin Dada n’est pas si « propre » que ça. Il devient difficile pour elle de continuer à jouer le rôle de son porte-parole. Amin qui ne veut surtout pas perdre un élément aussi efficace que son Ambassadrice, la nomme Ministre des Affaires Etrangères en février 1974. Bagaaya continuera donc à soigner l’image du président de par le monde.

Idi Amin Dada, ex-président de l’Ouganda 

En décembre 1986, Elisabeth de Toro perd son époux, Wilbur Nyabongo. Cet évènement douloureux, ajouté aux pressions intenses qu’elle subit en tant qu’Ambassadrice de l’Ouganda aux USA, affaiblissent Bagaaya moralement. Elle décide de démissionner en Juillet 1988. Ses activités aux Etats-Unis, où elle vivra momentanément, se limiteront à promouvoir les causes de l’Afrique dans une émission télévisée nommée: Elizabeth of Toro: The Odyssey of an African Princess (en 1989).

Cette Reine et Héroïne d’Afrique à la grâce époustouflante, aux qualités oratoires indéniables et à l’intelligence pétillante, a pu utiliser tous ses atouts pour servir les siens, servir son pays et son continent. On peut aisément reconnaître qu’elle eut toutes les opportunités pour mener une vie paisible et complaisante en Occident, mais en aucun cas, il eut de sa part un quelconque désir de s’occidentaliser et d’oublier ses origines. Jamais n’est-elle restée sourde à l’appel de sa terre natale, se rappelant certainement sa véritable place et son devoir: celle de la princesse de son peuple.

Natou Pedro-Sakombi

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